Waouh! le grand moment!
C'est vraiment la "Upper Class" de la musique et des pianistes!
Un récital pourtant "difficile" avec rien de rien d'évident.
On chamboule le programme, mais pourquoi pas! A posteriori, ça a très bien fonctionné.
Pour commencer les Bagatelles op.126 de Beethoven (qui n'ont de "Bagatelles" que le nom!) représentatives du Beethoven de la fin, profondes et sombres. Jouées très sobres, très intériorisées avec juste un léger balancement accompagnant le chant.
Ensuite la découverte (pour moi tout du moins) : les Métopes op.29 de Szymanowski.
Pour ne pas être "larguée", j'avais un peu travaillé avant de venir au concert.
Les métopes sont en architecture des sculptures en bas-relief ornant l'espace du fronton situé entre deux colonnes (dixit le dictionnaire, mais quel rapport avec la musique?). Szymanowski a été inspiré lors d'un voyage en Sicile par un triptyque de métopes représentant un lieu ou un personnage de l'Odyssée :" l'Ile des sirènes", "Calypso" et "Nausicaa".
S'ensuit donc la création d'univers impressionnistes voire pointillistes, respectivement aquatique avec vaguelettes et jeu des sirènes, hypnotisant et sensuel et retour à l'univers humain quand Ulysse est réveillé par Nausicaa.
Il y a du Debussy là-dedans, du Scriabine, des dissonances, des résonances tout en nuances sublimes dans la 1ère, de la délicatesse et de la sensualité avec des "ostinato" prenants dans la 2è et un mouvement chaloupé de danse et un ruban multicolore très virtuose dans la troisième.
Et Anderszewski a su re-créer pour nous cet univers onirique et rendre tout cela avec son toucher magique et un contrôle parfait des sons et des résonances du piano (qui a pu donner là toute la délicatesse et la richesse de ses harmoniques).
Comme me l'a dit un collègue festivalier encore tout ébahi comme moi à l'entracte quand nous évoquions que peu de gens devaient connaître les Métopes de Szymanowski avant ce soir : "Je ne crois pas que les gens soient amoureux des Métopes, mais quand c'est joué comme cela, tout est beau!"
Du coup, j'ai acheté le CD d'Anderszewski au petit disquaire du Festival (il avait déniché le CD de Szymanowski) pour m'en imprégner à loisir sur ma chaîne et je l'écouterai dans la pénombre!
Pas de Novelette n° 8 de Schumann passée à la trappe mais des très belles "Geister Variationen" où les esprits étaient bien là : magnifique thème magnifiquement chanté et une sublime troisième variation, profonde et toute en retenue…
Et sans interruption (sans doute pour ne pas être gêné par les applaudissements - comme on l'avait appris lors de la captivante causerie de l'après-midi avec le fabuleux conteur qu'est Bruno Monsaingeon) : Bach! Un Bach limpide, évident avec un phrasé et un toucher magique! Il a tutoyé le ciel dans certains passages. Rien de plus à dire sur cette Suite anglaise n°6 (et non la 3 comme prévue au programme - Mais quelle importance, Bach était là!).
Tonnerres d'applaudissements!
Impressionnant, surprenant après un tel programme et sa difficulté d'accès sans facilité aucune, sans une seule note de Chopin - pour le public de Nohant qui d'habitude ne peut s'en passer!
Quel pianiste, quel artiste pour avoir ainsi lui aussi "envoûté son auditoire! malgré ses airs de grand discret et de timide.
Deux bis de la même veine : Bach encore avec un extrait de la "Partita n° 1" et Bartok "Chants paysans hongrois de la région de Csik".